Depuis sa création en 1899, le rôle du Service canadien des forêts (SCF) a évolué et s’est développé pour devenir la voix reconnue à l’échelle nationale et internationale du secteur forestier canadien. Dans le cadre de son 125e anniversaire, l’équipe du rapport sur L’état des forêts au Canada a mené des entretiens avec plusieurs employés du SCF dont les travaux scientifiques, politiques et de gestion visent à améliorer le bien-être de la population canadienne et des forêts du pays. Ces témoignages établissent le lien entre le passé, le présent et l’avenir du SCF.
Voici ce qu’ils avaient à dire :
Sylvie Gauthier, Chercheuse émérite, Succession forestière, Centre de foresterie des Laurentides, Québec, Qc
À propos des changements les plus importants au fil du temps : Je pense à trois éléments qui sont tous connexes à la diversité des personnes concernées. Tout d’abord, les personnes travaillant dans le secteur forestier ont aujourd’hui des formations multiples : génie forestier, biologie, géographie, sciences de l’environnement ou sciences sociales. Deuxièmement, le nombre de femmes qui travaillent dans le secteur forestier est en augmentation. Enfin, ce qui est très important, les Premières Nations et les peuples autochtones sont davantage impliqués dans les activités du secteur forestier.
À propos de l’avenir de la foresterie : Les répercussions des changements climatiques, notamment par le biais des perturbations, sont l’un des défis importants que j’entrevois. Ainsi, je pense qu’en tant que société, nous devrons apprendre à faire plus et mieux avec moins de bois, à la fois pour nous et pour l’écosystème lui-même.

James C.G Farrell, Coordonnateur de projet et programme en foresterie, Centre de foresterie de l’Atlantique, Fredericton, N.-B.
À propos des changements les plus importants au fil du temps : La technologie. Je me souviens que lorsque j’ai commencé mes études en foresterie, nous disposions d’une boussole et d’un ruban à mesurer pour la navigation, et c’est tout. Aujourd’hui, nous disposons du GPS (géo-positionnement par satellite) et du SIG (système d’information géographique) pour la planification forestière, ainsi que de la télédétection, y compris le lidar (détection et télémétrie par ondes lumineuses). Nous pouvons donc obtenir des informations à une échelle très précise.
Je suis conscient que l’aménagement forestier durable a également changé. La pratique est plus équilibrée et met davantage l’accent sur d’autres valeurs, comme l’importance de l’augmentation de la biodiversité, ainsi que des valeurs écologiques et culturelles. Il ne s’agit plus seulement du bois ou de l’économie. Par conséquent, les Canadiens se rendent compte que la foresterie ne se limite pas à la récolte d’arbres.
À propos de sa recherche expliquée aux jeunes : Je travaille avec des scientifiques pour essayer de mieux comprendre comment les différents types d’arbres poussent. Nous étudions les conditions et les zones qui leur permettent de mieux pousser, le plus sainement possible. Ce champ d’études s’appelle la sylviculture, c’est-à-dire l’art et la science de la production et de l’entretien des arbres. Pour appuyer ces travaux, j’entreprends des projets visant à mesurer et à identifier les arbres à l’aide de lasers installés à bord d’avions, également connus sous le nom de lidar. Dans ce type de télédétection, on utilise les données obtenues par balayage au sol et on exécute un algorithme pour essayer de prédire quels arbres se trouvent à quel endroit. Il s’agit d’un type d’intelligence artificielle (IA) appelé apprentissage machine.

Lucas Brehaut, Chercheur scientifique, Résilience aux feux de forêt, Centre de foresterie de l’Atlantique, Corner Brook, T.-N.-L.
À propos des changements en cours : Les feux de forêt se produisent à l’échelle nationale, et la présence de chercheurs, d’analystes et de spécialistes en modélisation et en prévision qui étudient les feux dans tout le pays est importante. Lorsque j’ai été engagé comme scientifique spécialiste des feux à Terre-Neuve, les gens étaient très surpris que je travaille dans le Canada atlantique. Ils n’imaginaient pas les feux de forêt comme faisant partie de leur paysage. Toutefois, en l’espace de trois ans, le public a pris conscience des besoins en matière de recherche dans ce domaine.
À propos de l’avenir de la foresterie : La sensibilisation du public sera très importante. Je pense que nous allons faire beaucoup plus d’éducation publique, car la désinformation se propage sur un certain nombre de sujets connexes aux incendies. En tant que chercheurs, nous recevons une grande quantité d’informations, et il nous appartient de les assimiler et de les comprendre. Nous sommes donc dans une position unique pour effectuer ce travail. Je pense également que nous pourrons aborder les sujets liés au domaine de la foresterie avec une approche plus globale. Par exemple, en ce qui concerne les feux de forêt, il est important que nous ne nous contentions pas d’informer sur les risques qui y sont associés, mais que nous soulignions également les avantages écologiques et culturels de ces feux et leurs effets positifs sur les écosystèmes et les communautés.

Ellen Whitman, Chercheuse scientifique sur les feux de forêt, Centre de foresterie du Nord, Edmonton, Alb.
À propos d’une carrière dans la recherche forestière : Mon message principal pour tout le monde est de suivre vos intérêts, surtout si quelque chose vous passionne. Je suggère aux gens de ne pas se limiter. Même si vous ne voyez pas de mentor ou de personne qui vous ressemble dans un rôle, cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas le faire. Si ce travail vous passionne, et si vous vous y sentez à votre place, simplement du point de vue du plaisir et de l’épanouissement que vous en tirez, alors vous avez réussi.
À propos de la source d’inspiration que représente la forêt : Ce que j’aime particulièrement en ce qui concerne les forêts et les feux, c’est la résilience des écosystèmes et les échelles de temps sur lesquelles ils évoluent, car souvent le feu éclate, les arbres meurent et, en un instant, la forêt est méconnaissable. À l’échelle d’une vie humaine, il peut être très difficile d’accepter ces grands changements et d’y faire face. Cependant, les feux de forêt font partie du processus normal de l’écosystème et, à bien des égards, nos forêts y réagissent très bien, à leur propre rythme. Personnellement, la résilience des écosystèmes forestiers est l’aspect que je trouve le plus passionnant et le plus fascinant : la manière dont les forêts parviennent à se rétablir après des perturbations telles que des feux.

Jacques Régnière, Chercheur, Dynamique des populations d’insectes, Centre de foresterie des Laurentides, Québec, Qc
À propos de la recherche forestière expliquée aux jeunes : Je travaille dans le domaine des biomathématiques, et j’essaie donc de transmettre ma fascination pour le nombre d’insectes et les effets qu’ils peuvent avoir sur nos forêts. J’explique que nous étudions les insectes pour mieux comprendre leur mode de vie et trouver ce dont ils se nourrissent pour survivre, que ce soit des feuilles ou d’autres parties des arbres que nous voulons voir survivre également. Par exemple, dans une zone forestière donnée, si nous disposons de données sur les oiseaux qui se nourrissent des chenilles qui endommagent les arbres, nous pouvons calculer, par exemple, s’il y a suffisamment de ces chenilles pour les oiseaux, ce qui arrive à la population de chenilles lorsque ces oiseaux s’en nourrissent, et ensuite, combien de chenilles vont pouvoir survivre et quelles sont les répercussions possibles.
À propos des changements les plus importants au fil du temps : Dans mon domaine particulier, au début, nous voulions nous débarrasser des insectes. Ces derniers étaient mauvais. Aujourd’hui, nous essayons d’assurer la protection de l’intégrité, de la persistance et de la longévité des écosystèmes. Nous sommes conscients que les insectes ont un rôle à jouer dans ce domaine, et qu’ils ne sont donc pas nécessairement mauvais. La plupart des insectes que nous étudions sont en fait bénéfiques. Parfois, nous devons tuer les insectes, mais la plupart du temps, nous devons les comprendre et nous adapter ou les accepter et essayer de faire face à leurs effets. Auparavant, ils étaient considérés sous l’angle de leur influence sur notre économie, mais les choses ont changé.
Roxanne Comeau, Conseillère scientifique, Recherche collaborative, Direction de l’intégration des sciences et des politiques, Ottawa, Ont.
À propos des changements les plus importants au fil du temps : Dans les années 1980, je suis allée à l’Université du Nouveau-Brunswick, où j’étais l’une des sept femmes, je crois, de ma classe, sur une promotion d’environ 45. Cependant, dans le contexte de l’université, nous étions tous des collègues, et je n’ai donc pas ressenti de difficultés jusqu’à ce que j’arrive en milieu de travail. C’est là que j’ai découvert qu’il existait encore des obstacles pour les femmes, que ce soit pour accéder à certaines professions ou pour s’y épanouir. Les campements, par exemple, n’offraient pas d’aménagements pour les femmes à l’époque. De plus, lorsque j’ai commencé à travailler dans le secteur privé, il n’y avait pas de congé de maternité comme c’est le cas aujourd’hui. Pour mon premier enfant, j’ai donc pris quatre mois de congé, et pour mon deuxième, j’ai pris six semaines de congé, en m’engageant à venir travailler avec ma fille!
À propos du travail collaboratif : Le commerce de produits forestiers illégaux est une préoccupation internationale croissante et, bien que le Canada ait d’excellentes pratiques juridiques forestières pour ses produits, il était nécessaire de porter plus d’attention à l’origine des produits forestiers qui entraient dans le pays. En collaboration avec Affaires mondiales et Environnement et changement climatique Canada, nous avons fait appel à nos chercheurs à travers le pays qui sont des experts en identification du bois, et l’un des éléments qu’ils ont élaborés est un guide de formation pour aider l’Agence des services frontaliers du Canada à reconnaître et à identifier les produits du bois illégaux. Nous avons également travaillé avec notre expert sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui définit les espèces figurant sur la liste des espèces illégales ou en voie de disparition. Il s’agissait d’un très beau travail de collaboration entre les spécialistes de l’accès au marché, les experts en commerce et nos chercheurs.

Katalijn MacAfee, Directrice, Division des écosystèmes forestiers, Centre de foresterie des Grands Lacs, Petawawa et Ottawa, Ont.
À propos d’une carrière dans la recherche forestière : Ce que je dis souvent aux gens, c’est qu’il faut se prioriser. Il faut réfléchir à ce que l’on veut accomplir et à ce que l’on veut retirer de la vie. De nombreuses personnes vous offriront des conseils et divers points de vue, mais en fin de compte, vous devez choisir ce qui fonctionne bien pour vous, et non ce que d’autres personnes veulent que vous choisissiez ou pensent que vous devriez faire. En fin de compte, c’est votre vie et vous devez vous assurer de la vivre pleinement.
À propos de l’avenir de la foresterie : L’inventaire forestier continuera de s’améliorer à pas de géant. La quantité de données auxquelles nous pouvons accéder aujourd’hui, par exemple, grâce au lidar, nous fournit de nombreuses informations. Par ailleurs, les pressions accrues sur les forêts nous ont obligés à collaborer plus étroitement afin d’envisager différentes priorités pour ces dernières. Nous avions l’habitude d’avoir une vision linéaire : récolter des arbres, faire repousser des arbres, et ainsi de suite. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, nous réfléchissons davantage : Quels arbres voulons-nous planter? Comment maximiser la valeur? Par ailleurs, comment maximiser les valeurs de la biodiversité? Comment pouvons-nous nous assurer que les espèces en péril sont bien protégées?

Une dernière réflexion holistique et humble sur la nature
Jacques Régnière : La vie en elle-même est un concept mystérieux. Elle est fantastique à considérer et à étudier. Ce qui me fascine le plus, c’est la complexité du jeu des relations écologiques dans les forêts, avec tous ces êtres vivants qui coexistent dans des systèmes qui persistent sur de très longues périodes. Nous venons de la nature et nous en faisons partie, je pense donc que nous lui devons notre existence. Parce que nous avons un si grand pouvoir, avec notre technologie, nous avons une responsabilité envers les écosystèmes dans lesquels nous vivons.