Des conditions météorologiques sans précédent ont entraîné l’apparition de la maladie de la suie parmi les érables de la Colombie-Britannique.
Mars 2025
Par Madison VanCamp pour La science simplifiée
La maladie de la suie de l’érable (MSE) est apparue soudainement et avec force depuis que sa présence en Colombie-Britannique a été constatée pour la première fois en 2022. Cette maladie, causée par le champignon Cryptostroma corticale, est apparue pour la première fois sur des essences européennes – les érables de Norvège et les érables sycomores – plantées dans les régions de Victoria et de Vancouver. Au début, la MSE semblait se limiter à ces essences ornementales, mais en 2024, elle a été découverte dans une espèce indigène : l’érable à grandes feuilles, la plus grande espèce d’érable du Canada. « Cette espèce est l’un des arbres à feuilles caduques les plus emblématiques de la côte ouest », explique Nicolas Feau, chercheur au Centre de foresterie du Pacifique (CFP).

Le champignon à l’origine de la MSE peut tuer un arbre en trois ans seulement. Ici, les arbres infectés présentent des marbrures typiques sur le tronc. (à droite) Une vue microscopique du cryptostroma corticale.
Comprendre la maladie de la suie
Le champignon responsable de la MSE est une bombe à retardement silencieuse qui peut passer inaperçue pendant des années. « La maladie était déjà présente dans les arbres, probablement depuis des années, voire des décennies, avant qu’elle ne frappe », explique Joey Tanney, chercheur au Centre de foresterie du Pacifique. Le champignon reste en latence à l’intérieur de l’arbre jusqu’à ce que les conditions idéales soient réunies, soit la chaleur et le stress de sécheresse, ce qui déclenche les symptômes mortels. Ces dernières années, la Colombie-Britannique a été confrontée à ce type de conditions à plusieurs reprises.
Il y a d’abord eu la canicule de 2021 sur la côte nord-ouest du Pacifique, une vague de chaleur sans précédent qui a fait grimper les températures à des niveaux record. Puis, au cours de l’été 2022, la région de Victoria a connu une période de 100 jours sans précipitations mesurables. Les stress combinés de la chaleur et de la sécheresse agissent comme un interrupteur pour ce champignon; ainsi, soudainement, ce qui s’était tranquillement développé à l’intérieur de l’arbre a commencé à le tuer.
La maladie progresse alors rapidement et un arbre d’apparence saine peut mourir en quelques mois.

Les arbres cultivés en laboratoire fournissent des indices sur les conditions environnementales qui déclenchent la maladie de la suie.
La propagation aux érables à grandes feuilles
Le premier érable à grandes feuilles à être victime de la MSE en 2024 a été découvert sur la propriété du Centre de foresterie du Pacifique à Victoria. « Juste derrière le Centre de foresterie du Pacifique, il y a un ruisseau. Nous le longions », se souvient Joey, « et c’est là que nous avons découvert la maladie sur un érable à grandes feuilles. » Depuis lors, la mort de près de 100 érables à grandes feuilles en raison de la MSE a été confirmée, et l’on recense chaque saison davantage de cas de la maladie chez des érables sycomores et des érables de Norvège.
La vitesse de propagation est inquiétante. « C’est arrivé très soudainement », dit Nicolas. « Il y a deux ou trois ans, en travaillant dans la même région, nous n’avons pas trouvé d’arbres infectés. »
Ce champignon est-il indigène ou nouveau?
L’un des plus grands mystères de la MSE est de savoir si le champignon qui en est la cause est originaire de la Colombie-Britannique ou s’il s’agit d’une espèce introduite. Il n’y a aucune trace historique de la présence de ce champignon dans la région, mais cela ne signifie pas qu’elle n’y était pas auparavant.
« S’il a été introduit, c’est peut-être il y a 50 ans ou plus », explique Joey. « Et nous ne l’aurions su que lorsque les symptômes de la maladie auraient commencé à se manifester, à la suite des vagues de chaleur sans précédent. » D’un autre côté, il est également possible que le champignon soit indigène et qu’il n’ait jamais causé suffisamment de maladies pour qu’on le remarque – jusqu’à aujourd’hui. Les changements climatiques ont peut-être fait pencher la balance.
Bien que ce champignon n’était pas reconnu pour causer la MSE au Canada dans le passé, il a été décrit pour la première fois en 1889 près de London, en Ontario, et est endémique de la région des Grands Lacs. Dans cette région, il s’agit d’une espèce peu connue qui joue un rôle dans la décomposition des érables à sucre morts. Bien qu’il ne soit pas reconnu pour causer la MSE chez les arbres de cette région, Joey et Nicolas posent une question évidente et inquiétante : « S’il est soumis à un stress suffisant, cela pourrait-il se produire? »

(à gauche) Nicolas Feau à l’œuvre dans son laboratoire. (à droite) On voit à peine Joey Tanney à côté d’un érable infecté. Les deux chercheurs de RNCan, au Centre de foresterie du Pacifique, travaillent ensemble pour comprendre la MSE.
Les changements climatiques pourraient avoir fait pencher la balance
Pour approfondir cette possibilité, Joey et Nicolas multiplient les enquêtes sur le terrain pour déterminer quelle est l’étendue de la MSE chez les érables à grandes feuilles en Colombie-Britannique. En prélevant des carottes de bois des arbres et en analysant leur ADN, ils espèrent découvrir l’étendue des infections asymptomatiques et se préparer à d’éventuelles épidémies.
Ils s’intéressent également aux érables à sucre. Grâce à des essais expérimentaux, ils espèrent déterminer si un stress subi par des érables à sucre infectés par le champignon peut déclencher la maladie. En comprenant mieux les conditions environnementales qui déclenchent la MSE chez les érables à sucre, les chercheurs peuvent anticiper et se préparer à une nouvelle maladie potentielle chez cette essence emblématique et importante du point de vue économique au Canada.
Relever le défi
Alors que la MSE fait son apparition de manière spectaculaire en Colombie-Britannique depuis quelques années, Joey et Nicolas relèvent ce défi avec curiosité et espoir. Ils ont mis au point des tests de diagnostic qui permettent de confirmer rapidement qu’un champignon est bien celui qui cause la MSE, et non l’un des nombreux organismes qui lui sont semblables. Ces tests permettent à de nombreuses parties intéressées – scientifiques, arboriculteurs, employés municipaux et responsables de parcs, pour n’en citer que quelques-unes – d’intervenir et de gérer les épidémies de manière plus efficace et plus sûre.
Par ailleurs, le problème comporte également des aspects liés à la santé humaine. Les spores fongiques à l’origine de la maladie de la suie présentent des risques pour la santé pour les personnes qui y sont exposées, car des milliards de ces spores allergènes peuvent être libérées par un seul arbre présentant des symptômes de la maladie. L’exposition à ces spores peut entraîner une maladie pulmonaire rare appelée pneumopathie d’hypersensibilité, également connue sous le nom de « poumon de fermier ». Pour les personnes qui doivent abattre et éliminer les arbres morts, les tests de diagnostic mis au point par le Centre de foresterie du Pacifique fournissent des réponses claires quant aux mesures de protection nécessaires pour veiller à ce que la santé humaine soit protégée et pour déterminer quels arbres infectés doivent être éliminés de manière appropriée afin d’éviter l’infection. Pour les chercheurs eux-mêmes, ces tests constituent également un moyen de dépistage précoce des infections asymptomatiques des arbres, ce qui leur permet de prendre de l’avance dans l’évaluation des stress environnementaux susceptibles de provoquer l’apparition de la maladie de la suie dans les forêts de la Colombie-Britannique.
L’équipe prévoit également de mobiliser les collectivités locales de la région de Victoria par le biais d’activités de science communautaire. Ils ont mis en place un projet iNaturalist dans le cadre duquel les membres de la collectivité peuvent télécharger des photos de cas suspecté de MSE. Joey et Nicolas peuvent ensuite utiliser les photos pour recenser les cas, demander des échantillons ou même se rendre sur place pour faire le dépistage des infections.
Dans l’ensemble, l’équipe est optimiste quant à la façon dont la technologie et la collaboration peuvent améliorer notre connaissance de cette maladie. « Nous disposons d’une toute nouvelle technologie et d’une excellente science communautaire – tous ces nouveaux outils à notre disposition », déclare Joey.
Pour en savoir davantage :
Maladie de la suie de l’érable – Ressources naturelles Canada
Maladie de la suie de l’érable – Fiche d’information de RNCan