Retracer l’histoire sur le territoire traditionnel de la Nation Naskapie à l’aide de la datation optique
Juin 2025
Par Jackson Lyons, pour La science simplifiée
Un projet exceptionnel a réuni un scientifique de Ressources naturelles Canada, des archéologues, des chercheurs et des représentants de la Nation Naskapie afin d’en apprendre davantage sur les modes de vie ancestraux des Autochtones dans le cadre d’un projet plus vaste mené par les Naskapis visant à créer une zone protégée sur une partie de leurs terres traditionnelles.

La région du lac Cambrien, au Québec, est située au cœur du territoire traditionnel de la Nation Naskapie de Kawawachikamach et abrite une grande diversité d’écosystèmes.
L’équipe multidisciplinaire, dont fait partie Stephen Wolfe, Ph. D., scientifique à RNCan, s’est donné pour mission de mieux comprendre la chronologie et le contexte des sites archéologiques anciens découverts sur les terrasses surplombant le lac Cambrien, un élargissement de la rivière Caniapiscau situé à environ 250 kilomètres au nord-ouest de Schefferville, dans le nord du Québec.
Stephen, chercheur scientifique à la Commission géologique du Canada (CGC), faisait partie d’un petit groupe composé d’archéologues consultants, de deux techniciens naskapis et de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal invités par la Nation Naskapie de Kawawachikamach à participer à un projet de recherche dans la région du lac Cambrien, un site remarquable sur le plan géologique et écologique, avec des dunes mobiles, des forêts subarctiques, des zones humides et des lacs.

Les Naskapis vivent dans cette région depuis des milliers d’années, suivant et interceptant les troupeaux de caribous de l’est de la région subarctique. Dans le passé, ils participaient à la traite des fourrures, puis ont fini par établir des liens avec le poste de Fort Chimo (aujourd’hui Kuujjuaq) vers les années 1830, puis avec Waskaikinis (Fort McKenzie), au nord-est du lac Cambrien, qui a été en activité de 1916 aux années 1950. Les Naskapis ont été déplacés dans la région de Schefferville, au Québec, dans les années 1950, et ont fondé leur collectivité de Kawawachikamach dans les années 1980.
Au gré du vent et du sable
L’équipe de recherche s’est rendue en hydravion de Schefferville à un ancien camp de pêcheurs, puis en hélicoptère à plusieurs sites archéologiques. Une fois arrivés aux dunes du lac Cambrien, ils ont examiné les dépôts sédimentaires et les formations terrestres pour mieux comprendre les changements survenus au fil du temps sur les terres traditionnelles des Naskapis.
Une partie de l’approche de Stephen consiste à utiliser la géomorphologie éolienne, c’est-à-dire l’étude de la façon dont le vent façonne la surface de la Terre, pour aider à découvrir quand et comment les peuples ancestraux vivaient dans cette région. Pour ce faire, lui et son équipe ont prélevé des échantillons de sédiments géologiques dans des dépôts dunaires mis à jour dans des tranchées creusées à proximité de sites archéologiques.
À l’aide d’une méthode appelée datation optique, qui permet de déterminer quand les grains de sable ont été exposés à la lumière du soleil pour la dernière fois, ils cherchent à retracer comment les vents ont façonné le paysage au fil du temps. L’équipe a également recherché des fragments de charbon et des os d’animaux brûlés sur des sites archéologiques recouverts de roches fissurées par le feu. Ces éléments permettront de dater l’occupation humaine dans la région du lac Cambrien à l’aide de la datation au radiocarbone.

Le technicien naskapi Tshiueten Vachon creuse un petit puits de reconnaissance dans une zone présentant un potentiel archéologique.
Le riche potentiel archéologique de la région avait déjà été confirmé par deux campagnes de fouilles menées par Moira McCaffrey et David Denton, archéologues-consultants, en collaboration avec les techniciens naskapis Tshiueten Vachon, Kabimbetas Noah Mokoush et Jaylen Andre. Ensemble, ils ont répertorié plus de 50 sites archéologiques, dont des campements datant de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’années, ainsi que d’impressionnants sites datant de l’époque de la traite des fourrures, caractérisés par de grands cercles de terre sur le sol où les Naskapis se rassemblaient et installaient leurs tipis à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Ces découvertes archéologiques fondamentales ont été déterminantes pour la réussite de ce projet interdisciplinaire plus vaste.
Une série d’autres découvertes (observations préliminaires sur place, datation au radiocarbone d’os d’animaux calcinés, ou brûlés, et analyse récente des dépôts sédimentaires) suggèrent que des groupes autochtones vivaient sur les plages près du littoral il y a déjà 5 000 ans.

L’équipe de recherche s’est rendue en hélicoptère sur les sites archéologiques de la région du lac Cambrien. Ces anciens sites d’occupation se caractérisent par des foyers remplis de roches fissurées par le feu et parsemés d’outils en pierre et de débris ébréchés. Ces sites, qui témoignent de la longue histoire de présence humaine de la région, sont menacés par l’érosion éolienne et sableuse.
Une expédition unique avec des défis uniques
Cette excursion n’avait rien d’ordinaire. L’équipe n’a pu atteindre le site de recherche isolé que pendant une brève période en été, lorsque le temps était suffisamment chaud et calme pour voyager. De plus, elle n’a disposé que de huit jours ouvrables pour étudier le contexte des sites, creuser des tranchées d’observation à proximité des sites archéologiques et prélever des échantillons pour la datation optique. Et bien que l’équipe ait bénéficié d’un temps généralement clément, elle a dû rester vigilante après avoir croisé un ours noir tôt le matin au campement!
Renouer avec le passé
Stephen a pu constater de ses propres yeux l’impact de cette découverte sur les jeunes de la région et les autres participants au projet. Pour beaucoup, c’était une occasion rare de marcher sur les terres de leurs ancêtres, une région presque inaccessible sans avion. En hiver, par exemple, le trajet depuis Schefferville prend près de deux jours en motoneige.
Pour beaucoup, ce fut une expérience profondément émouvante. « Me retrouver dans la terre natale des ancêtres des Naskapis, leur foyer, leurs terres, m’a permis de me sentir plus proche de mon identité naskapie », explique Tshiueten Vachon, l’un des techniciens du projet. « Ce n’est pas par hasard que nous avons trouvé des perles. Une personne experte en chasse et autres activités de plein air aurait de l’expérience dans le pistage ou la recherche d’indices révélant une présence passée. »
Ce projet était une entreprise d’envergure, et Stephen remercie la Nation Naskapie de l’avoir organisé et d’avoir sélectionné les archéologues principaux, Moira et David, qui ont coordonné l’ensemble des travaux. « Sans eux, nous n’aurions pas pu mener à bien notre campagne d’exploration », affirme-t-il.
« Simplement pouvoir se promener ensemble, contempler le paysage et créer des liens, c’était tellement important pour nous tous », explique Stephen.
En tant que participant externe, Stephen se dit honoré de découvrir l’ancien territoire des Naskapis en compagnie des membres de la communauté. « C’est ça, le plus gratifiant : pouvoir passer du temps avec les gens pour qui cet endroit est chez eux, sur une terre qu’ils acceptent de partager avec nous. »
Qu’est-ce qui s’en vient?
Stephen prépare un rapport scientifique officiel sur les nombreux résultats du projet et travaille à la réalisation d’une vidéo utilisant des images prises par drone et des séquences filmées dans le paysage, qui sera présentée à la communauté naskapie. Il espère que cette œuvre servira de lien visuel avec leur territoire ancestral, en particulier pour les aînés naskapis qui ne peuvent pas faire le voyage eux-mêmes. Cette collaboration fructueuse permet non seulement de mettre au jour des vestiges d’un mode de vie ancestral, mais aussi d’aider une communauté à renouer avec ses terres ancestrales.
Pour Stephen, ce fut une occasion rare et précieuse de contribuer à une histoire commune qui fait le pont entre la science moderne et l’histoire ancienne des peuples autochtones. « En fin de compte, ce n’est pas seulement ce que nous avons découvert dans le sol qui compte », conclut-il. « Ce qui compte, ce sont les gens, le lieu et les liens qui se tissent entre eux au fil du temps. »
Pour de plus amples renseignements sur cette recherche communiquer avec l’equipe des communications scientifiques de RNCan : sciencecommunications-communicationsscientifiques@nrcan-rncan.gc.ca.
Pour en savoir plus :
Stephen Wolfe sur ResearchGate (en anglais seulement)
David Denton – Chercheur indépendant
Moira McCaffrey – Chercheuse indépendante
Région des lacs Cambrien et Nachicapau – SNAP Québec