Mai 2025
Un article de Madison VanCamp pour La Science simplifiée
Le travail de terrain offre aux scientifiques de Ressources naturelles Canada (RNCan) des possibilités de découvertes, d’observations et de contacts directs avec la nature qu’il est impossible de trouver dans un laboratoire. Mais le terrain, ce n’est pas toujours le paradis, car le travail scientifique en plein air s’accompagne souvent de difficultés très particulières, causées par des conditions météorologiques extrêmes, des catastrophes naturelles ou d’autres facteurs incontrôlables.
En cliquant sur les images ci-dessous, vous pourrez entrer dans les coulisses de la science avec des spécialistes : des glaciologues qui doivent composer avec la disparition des glaciers et les risques d’avalanche, des chercheurs spécialisés en foresterie qui doivent s’adapter à des chaleurs sans précédent et à la fumée des feux de forêt et d’autres scientifiques et chercheurs de RNCan – qui font tous et toutes preuve de courage, de curiosité et de dévouement sur le terrain.

Dans l’enfer des Smoking Hills — Steve Grasby, chercheur
C’est parfois difficile de travailler dans le Nord. « Tout veut notre mort : les moustiques, les ours, les émanations toxiques, les roches qui brûlent », blague Steve. Cette photo a été prise à Ingniryuat – qu’on appelle aussi les « Smoking Hills » – dans la vallée de la rivière Horton, dans les Territoires du Nord-Ouest. Des roches riches en matière organique y entrent spontanément en combustion, créant des panaches d’acide sulfurique chaud qui atteignent plus de 1 000 °C. Les roches réagissent de façon similaire aux drainages miniers acides, formant – dans l’Arctique autrement presque vierge – des bassins de saumures qui figurent parmi les plus acides et les plus toxiques de la planète. « Il faut être prudent et bien préparé pour travailler là », affirme Steve. Mais les résultats de recherche sont fascinants. »

Des géants tombés sous la tempête — Charlotte Norris, chercheuse
Pour Charlotte et son équipe du Service canadien des forêts, le travail de terrain ne se résume pas à des activités de recherche – il faut aussi pouvoir s’adapter aux imprévus. Au fil des ans, ses collègues et elle ont fait face à d’innombrables défis logistiques, notamment des feux de forêt, des glissements de terrain, des inondations et des conditions météorologiques extrêmes– des phénomènes qui ont tous forcé l’équipe à revoir sa façon d’accéder aux sites d’étude. Des conditions changeantes peuvent perturber les activités quotidiennes à plusieurs égards : par exemple, la survenue d’une canicule peut forcer l’équipe à devancer l’heure du départ; la fumée, nuire à sa productivité; et un vent fort, l’obliger à se tourner vers des peuplements plus jeunes. Sur la photo, on voit que les dommages causés par un ouragan sur de vieux peuplements ont rendu le travail de terrain difficile et dangereux. D’un voyage d’étude à l’autre, les conditions changeantes compliquent la planification. La flexibilité est de mise, et il est toujours important d’assurer la sécurité et de pouvoir expliquer pourquoi on a besoin de temps pour accomplir le travail sur le terrain.

Braver la chaleur, scie à chaîne au dos — Ellen Whitman, chercheuse
Il faut constamment s’adapter à des conditions extrêmes quand on mène des recherches dans des paysages ravagés par les feux de forêt. Pour Ellen et son équipe, la chaleur a posé tout un défi. Lors de leur travail de terrain dans les Territoires du Nord-Ouest, un dôme de chaleur a fait grimper la température à plus de 30°C dans une région nordique habituellement beaucoup plus fraîche.
Ellen et son équipe ont commencé à travailler dès 4 heures du matin, mais même dans la fraîcheur matinale, l’équipement de protection individuelle, comme les filets antimoustiques, les jambières, les gants et les casques de sécurité, accentuait le stress dû à la chaleur. Certains jours, il fallait interrompre complètement le travail. La chaleur affectait aussi l’équipement mécanique. Ellen a déjà même vu des tronçonneuses cesser de fonctionner à cause du blocage de vapeur, chose qui arrive lorsque le carburant s’évapore sous l’effet de la chaleur. Avec les conditions météorologiques extrêmes, s’adapter en temps réel devient la norme, et l’équilibre entre sécurité, productivité et conditions de travail changeantes reste un défi croissant sur le terrain.

Périple sur des terres enfumées — Dominique Letourneau, technicienne en recherche sur les feux de forêt
Dominique n’est pas étrangère aux défis que représente le travail de terrain dans des conditions extrêmes. Cette photo a été prise par une journée ensoleillée, mais personne ne pourrait deviner que la fumée épaisse des feux de forêt à proximité a obscurci le soleil à ce point.
La troisième saison de travaux de terrain de Dominique a eu lieu pendant un dôme de chaleur. Vêtue d’un équipement de protection et travaillant sans ombre dans les zones brûlées exposées, les conditions ont rendu l’été particulièrement éprouvant. Malgré cela, Dominique a su garder une attitude positive : « La fumée empêche en quelque sorte la lumière du soleil de passer, ce qui aide un peu à lutter contre la chaleur. » Avec l’augmentation de la fréquence et de la gravité des feux de forêt, le travail de terrain devient de plus en plus exigeant pour Dominique et les autres chercheurs.

Déambulation sur les rebords du moulin — Mark Ednie, spécialiste des sciences physiques
Mark se promène avec prudence le long du bord d’un moulin massif sur le glacier Bologna. Il observe les moulins – preuve frappante de la fonte rapide des glaciers – qui sont en fait des trous circulaires qui canalisent les eaux de fonte de surface vers le système de drainage interne du glacier. Pouvant mesurer jusqu’à 10 mètres de largeur, les moulins peuvent être dangereux, surtout en hiver, lorsqu’une accumulation de neige dissimule l’ouverture béante du moulin et risque de s’effondrer si quelqu’un fait du ski dessus.
Outre le fait d’augmenter les risques liés à la sécurité des recherches dans ce domaine, la fonte des glaciers réduit également le nombre de sites que Mark et son équipe peuvent étudier. Le glacier Helm, situé dans la chaîne côtière du sud-ouest de la Colombie-Britannique, est un site de référence sur le long terme depuis les années 1960. Celui-ci est désormais devenu trop petit pour être étudié malgré des décennies de surveillance continue. Mark a également remarqué qu’il doit se rendre sur les sites plus tôt chaque année, car la fonte précoce des neiges crée des difficultés supplémentaires et des risques au niveau de la sécurité. Avec la hausse des températures qui décale les calendriers de recherche, combinée à l’évolution rapide de l’état des glaciers, chaque saison passée sur la glace amène son nouveau lot de défis pour Mark et les autres glaciologues.

Bilan d’une forêt en pleine mutation — Jessie Mitchell, technicienne de recherche
Alors qu’elle travaillait dans un vieux peuplement d’épinettes près de la ville de Peace River, dans le nord-ouest de l’Alberta, Jessie a pu constater de visu que l’évolution des conditions climatiques affecte la manière dont les travaux de terrain sont réalisés. Il y a 15 ans, Jessie et son équipe quittaient le terrain lorsque les vents atteignaient 25 kilomètres à l’heure, mais à présent, des rafales plus légères suffisent à faire tomber des arbres affaiblis par la sécheresse. Le travail de terrain n’a jamais été facile, mais son caractère imprévisible ne cesse d’augmenter. Jessie entame sa quinzième année de carrière et se demande quelles seront les conditions pour les jeunes générations qui débutent dans ce domaine. « Ce sera intéressant de voir à quoi ressemblera le travail de terrain lorsqu’ils auront 15 ans de métier. »

Petite journée de travail à distance pas comme les autres — Tiegan Hobbs, chercheuse en risques sismiques
Tiegan trouve que les dernières années passées sur le terrain ressemblent drôlement à un combat perpétuel contre les conditions météorologiques extrêmes et les catastrophes naturelles. « On a l’impression d’essayer constamment de les contourner », dit-elle.
La planification du travail de terrain est devenue plus compliquée. Tiegan doit désormais mettre au point différents systèmes de planification pour éviter les feux de forêt et la fumée sur le terrain. Ces nouvelles méthodes s’accompagnent toutefois d’un lourd fardeau : les semaines de surveillance nécessaires pour déterminer si l’accès à un site est possible et sécuritaire.
D’autres aspects logistiques doivent être pris en compte lorsque Tiegan et son équipe travaillent dans des zones isolées sans réseau de téléphonie mobile. Ils doivent organiser des contrôles réguliers de sécurité avec des dispositifs de communication par satellite afin de s’assurer qu’ils reçoivent les mises à jour pouvant être vitales sur la propagation de nouveaux incendies ou l’aggravation des conditions. La question de sa propre sécurité, et de celle de son équipe, lui trotte constamment dans la tête quand elle se prépare à partir sur le terrain. « Il est vraiment difficile de savoir quel est le seuil de risque qu’on peut prendre pour le travail que nous effectuons », avoue-t-elle. Même si ces défis ne sont pas complètement nouveaux pour Tiegan et les autres scientifiques sur le terrain, ils sont aujourd’hui plus présents que jamais.

Secoués par les tempêtes – la science en haute mer — Cooper Stacey, géologue marin
Les scientifiques qui travaillent en mer ne se laissent pas arrêter par les tempêtes, mais ils doivent parfois louvoyer pour les esquiver. En mer, il faut toujours être prêt à affronter les éléments, car les fortes houles et les vents soutenus peuvent transformer en acrobaties périlleuses des tâches aussi banales que le déploiement d’instruments par-dessus bord.
Cooper se rappelle une expédition récente au large de la Colombie-Britannique, où des vents violents et une mer démontée forçaient constamment l’équipe à changer de site ou à se mettre à l’abri en attendant les accalmies. En octobre 2023, on aurait dit que les tempêtes pourchassaient l’équipe sur l’océan; et en novembre 2021, c’est une rivière atmosphérique qui l’a empêchée d’atteindre les eaux exposées durant ses trois semaines d’expédition. Afin de pallier l’imprévisibilité du travail en mer, Cooper et son équipe surveillent les prévisions et les systèmes météo à venir pour exploiter au mieux chaque fenêtre que leur laisse la nature.

Cloués au sol par la nature : le jeu de patience des scientifiques dans l’Arctique — Bradley Danielson, glaciologue
Travailler sur les glaciers dans l’Arctique exige presque autant de patience que de connaissances scientifiques. Bradley en sait quelque chose, lui qui a travaillé à Resolute Bay, au Nunavut, dans le cadre du Programme du plateau continental polaire. En juin dernier, il a passé deux semaines à attendre une fenêtre météo sécuritaire pour faire un saut de puce en hélicoptère jusqu’à l’île Devon — en vain, car les aéronefs sont restés cloués au sol par une météo trop instable. Malgré la fenêtre de deux semaines qui avait été planifiée pour donner à Bradley le temps d’effectuer ses recherches, il a fallu — pour la deuxième année d’affilée — reporter le projet.
Outre les difficultés pratico-pratiques à surmonter pour réussir à atteindre des sites éloignés, c’est la nature même du travail qui change à cause du réchauffement qui continue de perturber les saisons de travail de terrain dans l’Arctique. « On dit maintenant d’avril que c’est le nouveau mai », lance Bradley. De fait, les chercheurs qui, comme lui, veulent travailler sur les glaciers doivent maintenant partir plus tôt dans la saison pour arriver avant la fonte des neiges et éviter les complications qu’elle entraîne.
Malgré ces difficultés, le travail se poursuit et la science progresse. L’Arctique change, mais Bradley et d’autres chercheurs suivent ces changements de près et les intègrent dans leur travail de terrain — quand la météo le leur permet.