La science simplifiée, février 2025
Lorsque deux membres de l’équipe des Levés géodésiques de Ressources naturelles Canada (RNCan) ont été invitées à faire partie de la première équipe entièrement féminine à installer une station de réception au sol de données satellite à l’extrémité nord de Terre-Neuve, elles ont sauté sur l’occasion. Ce qu’elles ont découvert, c’est un voyage rempli de paysages époustouflants, d’un équipement égaré et d’un lien inattendu avec la science de l’époque des Vikings.
Une mission historique
Au cours de l’été 2024, Anne Farineau et Rachel van Herpt se sont rendues à L’Anse aux Meadows, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO situé sur la péninsule Great Northern de Terre-Neuve, pour installer une nouvelle station du système mondial de navigation par satellite (GNSS). Le dernier agrandissement du plus important réseau du Canada relevait d’environ 30 ans, alors que les équipes sur le terrain étaient composées principalement d’hommes.

L’Anse aux Meadows se trouve à l’extrémité nord-est de l’île de Terre-Neuve.
Les temps ont changé, la science aussi, mais, fait remarquable, la mission d’Anne et de Rachel à Terre-Neuve marque la première installation d’une station GNSS par une équipe exclusivement féminine. Même la cheffe de section et directrice intérimaire du projet, Sandra Bolanos, est une femme. « Il est rare de travailler avec une autre femme dans ce domaine », déclare Anne. « Cette première installation effectuée entièrement par des femmes a été très remarquable, d’autant plus qu’elle rend hommage à notre directeur retraité, le Dr Calvin Klatt, qui a été le mentor de nombreuses personnes et qui a toujours soutenu les femmes dans le domaine de la géodésie ». La géodésie est la science qui permet de mesurer et de comprendre avec précision la forme géométrique de la Terre, son orientation dans l’espace et son champ de gravité.
L’équipe des Levés géodésiques de RNCan gère environ 70 stations GNSS permanentes dans tout le pays, dont beaucoup sont situées dans des régions éloignées. Nombreux sont ceux qui connaissent le GPS (système de positionnement global), propriété des États-Unis, qui englobe les satellites GPS. Le système mondial de navigation par satellite, cependant, est beaucoup plus large et englobe une variété de systèmes internationaux par satellite, y compris le GPS, Galileo de l’Europe et d’autres. En conséquence, en accédant à un plus grand nombre de constellations de satellites provenant de nombreuses nations, le GNSS fournit des informations plus précises que le GPS seul.
Défis et découvertes
Anne et Rachel savaient exactement ce qui les attendait : le travail sur le terrain est physique, il y a souvent peu de commodités locales et il y a toujours un risque de météo tout à fait imprévisible, en particulier dans les régions les plus éloignées du Canada. La planification de cette mission a pris un an et a nécessité beaucoup de préparation – logistique des voyages, rédaction de contrats, réalisation d’évaluations environnementales et collaboration avec Parcs Canada et les collectivités pour s’assurer que les autorisations et les permissions nécessaires étaient en place.
Il faut environ une demi-journée pour aller d’Ottawa à Terre-Neuve, avec un arrêt en Nouvelle-Écosse en cours de route. Et encore six heures de route pour se rendre sur les lieux, une fois qu’elles ont atterri à Deer Lake. Mais quel voyage! Elles ont été immédiatement frappées par le relief accidenté et la richesse de la géologie.
« Avec tous les processus géologiques qui se sont produits au fil du temps, le paysage est incroyablement beau », se souvient Rachel. « La côte nord de Terre-Neuve passe des montagnes imposantes et des vestiges de fjords à la toundra arctique. C’est incroyable de voir l’océan d’un côté et des écosystèmes aussi uniques de l’autre ».

Les visiteurs du lieu historique national de Parcs Canada, L’Anse aux Meadows, sont confrontés aux mythes et aux récits vikings. Anne et Rachel ont découvert un autre aspect du site archéologique. On les voit ici avec Mark Pilgrim, un présentateur du patrimoine qui se produit sous le nom de scène de Ragnar.
Lorsqu’elles sont arrivées à L’Anse aux Meadows, elles ont découvert un site historique national de Parcs Canada, où des interprètes en costume guident les visiteurs à travers les scènes historiques où les Vikings ont construit des établissements de bois d’œuvre et de tourbe il y a plus de 1 000 ans. Elles ont rapidement tissé des liens avec les présentateurs du patrimoine en raison de leur profond intérêt pour la géologie locale. Avant même de s’en rendre compte, elles se sont mises à discuter de l’ajustement isostatique postglaciaire (AIG), une réaction du mouvement de la croûte terrestre à la fonte des énormes glaciers et nappes glaciaires qui couvraient la région pendant la dernière période glaciaire. Bien que la glace ait fondu il y a longtemps, la terre continue de s’ajuster (vers le haut à L’Anse aux Meadows), sous l’effet de processus dynamiques dans la croûte et le manteau terrestres.
L’AIG n’est que l’une des composantes du système terrestre que la station GNSS mesurera et, comme il s’avère, l’une d’entre elles soulève beaucoup d’intérêt chez les visiteurs et est incluse dans leurs visites. « C’était tellement extraordinaire de relier leurs connaissances à la science sur laquelle nous travaillons », dit Rachel. « Maintenant, elles pourront également la connecter à la station GNSS que nous avons installée sur le site. »
Qualité des données GNSS
Les données GNSS sont essentielles à notre vie moderne. Bien qu’une station GNSS puisse paraître banale, une technologie avancée est à l’œuvre, car elle collecte des données satellite ultra-précises, suivant les mouvements subtils des masses terrestres de la planète avec une précision de l’ordre du millimètre. Les mouvements verticaux sont également dus à la fonte des glaciers, aux marées terrestres, aux tremblements de terre ou aux déplacements du manteau. Ces informations aident à surveiller l’élévation du niveau de la mer et à gérer les catastrophes naturelles.
Outre ces données géoscientifiques essentielles, les réseaux GNSS fournissent des informations précises sur l’endroit et la synchronisation, essentielles à l’économie dans pratiquement tous les secteurs. « Par exemple, lors de la pose de lignes électriques, il est essentiel de connaître leur position exacte par rapport aux autres travaux effectués dans la région, afin de s’assurer de ne pas les toucher », explique Rachel. Grâce aux données GNSS en temps réel, d’autres applications modernes telles que les véhicules autonomes et l’agriculture de précision sont possibles.
Ces informations sont particulièrement importantes pour la planification dans le Nord du Canada, où certains rivages se déplacent constamment. L’ajout de stations dans le Nord et dans les régions éloignées afin d’améliorer la précision du positionnement fait partie des travaux en cours de RNCan. Cela contribuera à la planification des ports locaux dans les collectivités où les conditions peuvent changer considérablement, comme à Churchill, au Manitoba. « Les taux de soulèvement y sont importants, et les planificateurs ont donc besoin de tendances cohérentes au fil du temps », explique Rachel. Le projet de modernisation du GNSS permettra également d’aligner les bornes du Canada sur les normes internationales, ce qui est important pour les projets transfrontaliers tels que les ponts et les pipelines.

Il faut une variété d’outils manuels et une expertise spécifique pour installer une station GNSS. Il est particulièrement important de caler le récepteur dans un angle précis et de s’assurer qu’il a une vue dégagée du ciel.
Obstacles inattendus
Le processus d’installation d’une station GNSS peut s’avérer très difficile et un grand nombre de facteurs peuvent interférer. Dans ce cas, Rachel et Anne prévoyaient une installation de surface. Il s’agit d’ancrer une antenne sur un substratum rocheux exposé et de couler du béton autour de la base. Le but est de fournir une vue dégagée du ciel et des satellites qui le surplombent. L’antenne doit également être mise à niveau avec précision, car les données recueillies ici feront partie du cadre de référence dynamique du Canada pour la précision de la latitude, de la longitude et d’autres paramètres. Répondre à toutes les conditions pour une station appropriée peut être difficile, mais grâce aux connaissances locales et aux conseils fournis par Loretta Decker et Trevor Hedderson de Parcs Canada, un emplacement idéal a été trouvé.
Le plus gros obstacle est survenu lorsque Rachel et Anne n’ont pas pu commencer comme prévu en raison d’un problème pratique : une partie de leur équipement a disparu pendant le transport d’Ottawa à Terre-Neuve. Mais avec quelques appels aux ministères à vocation analogue et aux compagnies de transport à travers Terre-Neuve, une location de véhicule de dernière minute et des milliers de kilomètres plus tard, l’équipement a été trouvé et l’installation a pu commencer.
C’est à ce moment-là que les équipes de terrain doivent faire preuve de sang-froid, de calme et ne doivent pas perdre contenance. « On peut essayer de tout prévoir, mais la loi de Murphy est un compagnon constant du travail sur le terrain », déclare Anne. « Il y a
toujours un imprévu et la rapidité d’esprit est essentielle ».
Anne et Rachel ont poursuivi l’installation de la station GNSS. Après avoir calé l’antenne dans une position précise, elles ont fait courir le câble d’antenne jusqu’au récepteur à l’intérieur d’un bâtiment voisin. Autre bizarrerie, il s’avère que le meilleur endroit pour le récepteur se trouve dans la salle où les présentateurs du patrimoine se changent pour revêtir leurs costumes de Viking. En effet, il s’agira de la seule station canadienne de contrôle actif canadien installé dans un vestiaire viking.
La station GNSS étant enfin installée, il ne restait plus qu’une chose à faire.
Un moment de réflexion
Anne et Rachel ont observé une vue imprenable de la Voie lactée et ont assisté à une incroyable aurore boréale lors d’une tempête solaire, ce qui a renforcé le caractère spécial de cette station, nommée en l’honneur de Calvin Klatt. En dehors de son travail professionnel, il est passionné d’astronomie et est un astrophotographe passionné qui prend des images exceptionnelles du ciel nocturne. Il aurait été dans son élément sur la péninsule Great Northern de Terre-Neuve, où les nuits sont calmes et la pollution lumineuse très faible.
Quelques mois plus tard, de retour à Ottawa par une froide journée d’hiver, Anne et Rachel reviennent sur cette expérience.
« Si une jeune fille ou une femme voit quelqu’un qui leur ressemble faire quelque chose qu’elle ne pensait pas possible, elle peut changer d’avis et réaliser que c’est possible », explique Anne. Rachel poursuit. « J’aime le travail que je fais », dit-elle. « Et le fait de savoir que les femmes peuvent s’épanouir dans ce domaine tout en conciliant leurs rôles au bureau et en tant que parents ou soignants est une source d’inspiration. Cela permet d’ouvrir le champ des possibles. »
Regard vers l’avenir
Alors que la modernisation des stations GNSS de RNCan se poursuit, Rachel et Anne sont enthousiastes à l’idée d’inspirer les générations futures, en prouvant que la science et l’exploration sont accessibles à tous.
Vous pouvez découvrir cette histoire en images à travers une galerie de photos dans La science simplifiée.
À découvrir :
Outils et données géoscientifiques
Systèmes de référence géodésique au Canada
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L’Anse aux Meadows – Lieu historique national – Parcs Canada